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L’âme est de l’étranger sur terre (Georges TRAKL, "Printemps de l'âme")
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© Denis Clarinval
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« Lecteur, tu es parvenu jusqu’au seuil de ma maison : c’est à toi de le franchir. Demeure en ces lieux autant qu’il te plaira et sois rassuré : il n’y a pas de pièges, pas de fantômes, pas de porte close pour priver ton regard de ce qu’on ne peut voir. Je place en ton oreille ces mots avisés : en cette demeure, de tout ce qu’on y voit, bien peu s’y trouve et de ce qui s’y trouve, bien peu se donne à voir. Dans cette obscurité, la lumière est inutile : tout semble s’y confondre et c’est à toi qu’il appartient de distinguer ce qui doit l’être. Le temps s’est assoupi dans les mailles des tentures et les fissures des meubles ; te voilà « Igitur » perdu dans l’escalier dont se dérobent les moindres certitudes : tout est pareil à ce matin et cependant plus rien ne se ressemble. Ce sont les choses qui viennent à nous : sois patient et elles viendront jusqu’à toi, suivant leurs propres voies. Laisse-toi envahir par le monde plutôt que de le prendre et n’en saisir que les ombres. Laisse ta raison sur le seuil : elle attendra que tu reviennes pour en user à ta guise. Une dernière chose : ce qui diffère est identique autant rien n’est jamais le même… »
Pour lire l’entièreté du texte dont revient cet extrait, n’hésite pas à cliquer sur ce lien : « Apostrophe » (PDF). Je suis forcément un inconnu… J’erre la nuit dans un monde de pierres à la lueur de ma seule étoile, une lanterne qui n’éclaire que mes pas au milieu des absences. La nuit est le cimetière du monde : les hommes se sont endormis et il ne reste que le silence. Dans ce désert nocturne je ne croise que des ombres : les ombres, c’est tout ce qui demeure quand le soleil a tout entrainé dans son déclin. Je suis le veilleur de nuit des « Veilles » de Bonaventura et des hommes je ne sais que les rêves, saveurs éphémères dans la nuit du monde condamnées à l’oubli par un nouveau jour dont l’aube déjà est annoncée. La nuit du monde ! La sœur est seule dans cette clairière où ses pas l’ont conduite tandis que le frère chante sur la « colline du soir » (Trakl, « Printemps de l’âme ») ; le murmure de la rivière qui s’écoule aurait-il étouffé son chant ? « L’âme est de l’étranger sur terre » : en quel lieu sacré se peut-il qu’elle vibre enfin dans son offrande à l’indicible ? Novalis, Hölderlin, Schelling, Nietzsche, Rilke, Trakl, Heidegger et combien d’autres ont tissé une toile dont chaque fil est celui d’une lyre qui vibre selon son propre ton et dont l’ensemble résonne comme une symphonie, réplique audible à l’appel de Très-Haut tandis que « manquent les noms sacrés » (Hölderlin, « Retour »). Poète, penseur, dramaturge ou tragédien, je suis un voyageur poursuivi par son ombre, un explorateur de lieux inconnus qui se cachent sous le couvert des mots, en quête du grand midi, une clarté dans la nuit qui a recouvert le monde de son voile sacré (Hölderlin, « Vocation du poète »). Lecteur, navigue à ton gré entre les pages, îles réservées comme autant de récifs sur lesquels s’échoue le tumulte d’une mer impitoyable. Crains-tu de t’y égarer ? Je te donne ce précieux conseil : n’hésite pas à lire entre les lignes, dans ce blanc qui semble n’avoir rien à dire : bien des secrets s’y tiennent à l’abri des tempêtes.
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